Me Johanne Savard

Me Johanne Savard : entre rigueur et humanité

Par Pierre-Luc Beauchesne, avocat

(Article diffusé le 18 août 2020)

Le 10 septembre prochain, à l’occasion de la rentrée judiciaire, la Médaille du Barreau de Montréal sera remise à Me Johanne Savard, afin de souligner sa contribution exceptionnelle à la cause de la justice. Membre du Barreau du Québec depuis 1980, Me Savard commence depuis peu une nouvelle étape dans sa vie, après avoir annoncé en novembre dernier qu’elle quitterait ses fonctions d’ombudsman à la Ville de Montréal, et ce, après 17 ans de service. C’est l’occasion parfaite pour reconnaître tout le travail accompli par cette juriste remarquable qui a créé de toutes pièces le poste d’ombudsman à la Ville de Montréal, après avoir pratiqué en droit du travail et de l’emploi en grand cabinet pendant plus de 20 ans. Me Savard décrit sa carrière comme un long fleuve tranquille. On sent toutefois que le parcours professionnel de cette femme dynamique et fonceuse a été marqué par des défis de taille et du travail acharné.

Après des études en sciences politiques à l’Université Concordia, Me Savard a complété son baccalauréat en droit à l’Université de Montréal. Pendant son barreau, elle a été stagiaire à la Cour d’appel du Québec, surtout auprès des juges Amédée Monet et Albert Mayrand. Par la suite, elle a fait son stage chez Ogilvy Renault (aujourd’hui Norton Rose Fulbright), avant d’y être embauchée comme avocate et d’y devenir associée. En 1997, après plus de 17 ans chez Ogilvy Renault, elle s’est jointe à Desjardins Ducharme où elle est devenue chef du secteur du droit du travail et de l’emploi et membre du conseil d’administration.

Me Savard a toujours pratiqué en droit du travail et de l’emploi. Ce qu’elle aimait le plus de ce domaine du droit était le côté humain et la possibilité de développer une relation à long terme fondée sur le respect et la confiance, autant avec le client qu’avec la partie adverse. Même dans un contexte litigieux, Me Savard a toujours été sensible à l’importance de conserver son humanité : « Pour être un bon avocat, il faut à la fois faire preuve de beaucoup de rigueur et de bienveillance. Il faut aussi toujours garder en tête les impacts que nos décisions peuvent avoir sur notre prochain. »

Chez Ogilvy Renault, Me Savard a apprécié particulièrement la grande expérience, la compétence et la rigueur de ses collègues, avec lesquels elle a développé des relations exceptionnelles ; certaines sont encore aujourd’hui ses meilleures amies. Son passage chez Desjardins Ducharme lui a par ailleurs permis de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la gestion d’un grand cabinet. Cette première expérience de gestion a été un défi intéressant qui lui a fait réaliser qu’il faut souvent faire preuve de doigté quand on gère des professionnels, surtout des avocats.

En 2003, cette ancienne nageuse synchronisée a fait le grand saut. Elle a quitté la pratique privée et est devenue la première ombudsman de la Ville de Montréal. Les défis qui l’attendaient étaient immenses. À l’époque, il n’y avait pas d’ombudsman municipal au Canada. Les habiletés qu’elle a su développer en pratique privée ont été un atout et l’ont préparée à la tâche colossale, mais super excitante, qui l’attendait. Au fil des années, en s’inspirant de ce qui se faisait dans d’autres pays et d’autres paliers de gouvernement, elle a bâti une solide équipe, aujourd’hui formée de neuf personnes. Le volume de travail de l’ombudsman de la Ville de Montréal est impressionnant. Entre 2003 et 2019, Me Savard et son équipe ont traité plus de 25 000 plaintes et mené plus de 3000 enquêtes.

Au cours de ses quatre mandats, de nombreux projets lui ont tenu à cœur. Me Savard a notamment réussi à convaincre la Ville de limiter l’accès aux dossiers d’accusation criminelle de la Cour municipale quand une personne a été acquittée ou que les procédures la visant ont été abandonnées. Cette grande bataille a permis d’améliorer la vie de citoyens qui avaient de la difficulté à se trouver un emploi à cause de leur dossier criminel, même s’ils n’avaient fait l’objet d’aucune condamnation. Comme Me Savard le souligne, « la fonction d’ombudsman nécessite qu’on fasse preuve d’impartialité, tout en développant une relation de confiance et d’ouverture, autant avec les citoyens qu’avec l’administration municipale. Tous doivent travailler ensemble pour trouver une solution. Même si un ombudsman n’a qu’un pouvoir de recommandation, son travail permet presque toujours de corriger les situations problématiques, rétablissant ainsi une certaine justice pour les citoyens et les usagers. »

Pour Me Savard, un meilleur accès à la justice commence tout d’abord par la diffusion de l’information juridique dans un langage clair. Afin de prévenir les conflits, les citoyens doivent avant tout connaître leurs droits, mais aussi leurs obligations. Me Savard et son équipe ont notamment travaillé avec la Ville à la révision des modèles de lettres standards, avec des terminologies beaucoup plus simples. Me Savard a aussi rédigé, à l’attention des décideurs, un guide sur l’équité décisionnelle, afin de les sensibiliser à l’importance d’avoir des règles claires et de s’assurer que chaque intervenant puisse exprimer son point de vue et avoir le sentiment d’avoir été écouté et pris en considération. Pour elle, justice et humanité vont de pair : « Les tribunaux sont essentiels pour confirmer les valeurs démocratiques et les règles de droit, mais ils ont parfois leurs limites lorsqu’il s’agit de les appliquer à des cas particuliers, notamment en raison des coûts et des délais. Quand un conflit survient, il faut être en mesure d’offrir un recours plus simple et des processus qui font comprendre aux citoyens leurs droits et obligations. Surtout, il faut encourager les décideurs à faire preuve de bienveillance et à tenir compte de l’impact de leurs décisions. »

Au fil des ans, Me Savard s’est également impliquée socialement à la défense des personnes vulnérables. De nombreuses médailles lui ont d’ailleurs été remises en reconnaissance de cette implication. Un de ses principaux cheval de bataille a été et demeure les droits et l’inclusion des personnes atteintes d’un handicap.

Malgré ses horaires chargés, Me Savard s’est toujours assurée d’être présente pour son époux André et son fils Alexandre; pour elle, une vie réussie exige nécessairement des relations personnelles et familiales de qualité. À l’aube d’une retraite bien méritée, Me Savard demeure animée par le désir de vouloir aider son prochain. Elle souhaite profiter davantage de la vie et passer plus de temps avec sa famille, mais on sent que les prochaines années seront à l’image des précédentes et qu’elle trouvera une façon de contribuer à la société et d’exprimer sa grande humanité.