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Me Jean-Claude Hébert

Me Jean-Claude Hébert: l’intensité
par Chantal Sauriol, avocate1

Il n’y a pas que les voies du Seigneur qui sont impénétrables: certains êtres ne livrent que très peu d’eux-mêmes, laissant leur interlocuteur se torturer la partie reptilienne de leur cerveau pour débusquer la matière, l’essence profonde, ce que Rabelais nommait la substantifique moelle.

Ainsi d’une rencontre avec Jean-Claude Hébert, criminaliste et spécialiste en droit administratif, combinaison déjà rare. On lui doit une contribution majeure au développement du droit disciplinaire, dans sa réflexion la plus sociologique, c’est-à-dire dans ce que cette spécialité emprunte à l’évolution des mœurs et des choix de vie collectifs. Plus d’une centaine de chroniques, souvent publiées dans la revue du Barreau, et beaucoup de collaborations à la presse écrite. C’est un juriste complet, un penseur avec une approche d’ensemble, tout le contraire d’un technocrate comme toutes les professions en connaissent. Mais pour parler de lui, disons qu’il a plus en commun avec une huître qu’avec Linda Lemay.

Mais la recherche de figures dominantes pour cette chronique ne se laisse pas décourager. Coriace2, l’intervieweuse le cuisine sur plusieurs sujets. Sa santé, d’abord. Il est ingambe et frais comme un gardon, alors que la rumeur lui prêtait une condition cardiaque plutôt sérieuse. Il est passé par cette épreuve pour en revenir plus gaillard et d’attaque que jamais3.

Son parcours depuis qu’il est au Barreau. Saviez-vous qu’il a d’abord été notaire? Il a sévi dans quelques contrats de mariage, puis il s’est rendu compte qu’il cherchait autre chose. À ses tous débuts, il a tâté du droit de la famille, alors qu’il commençait sa pratique à l’Aide juridique, sous l’ancien régime de l’assistance judiciaire, en 1971. Il a trouvé ce domaine très lourd, pour un jeune homme avec peu d’expérience de la vie. Il a sondé ses patrons pour faire autre chose, et comme il y avait une forte demande en droit criminel, il s’y est plongé, et ce fut une révélation. Pendant cinq ans, il a roulé à un train d’enfer. La vitesse de prise de décision et d’exécution lui plaisait.

Il a gardé de cette époque une vue d’ensemble de la criminalité, qui n’est plus ce qu’elle était: l’arrivée de la Charte y est pour beaucoup, évidemment, mais aussi le type même de crimes, et la mentalité chez les policiers.

Ces derniers ont été durement secoués par les recommandations de 2 commissions d’enquête qui ont, coup sur coup4, jeté un éclairage très critique sur les méthodes policières traditionnelles et la gestion des crises. Ajoutant à cela la connaissance de plus en plus répandue chez les justiciables de leurs droits eu égard à la déontologie policière, la crainte et l’incertitude face aux répercussions de leurs actions quotidiennes engendrent une prudence parfois paralysante dans l’exécution de gestes autrefois rarement portés à la connaissance du public.

La criminalité a aussi connu une «évolution» dont plusieurs aspects émergent lentement. Quelques affaires retentissantes ont en effet mis à jour le blanchiment d’argent, ce crime qui a la particularité de donner une note de …sophistication(!) à l’utilisation des produits de la criminalité. Me Hébert déposera prochainement chez un éditeur un ouvrage, «Le droit pénal des affaires» qui abordera le sujet. Gageons qu’il sera bien vite au «top ten» des livres de chevet des procureurs de la Couronne et de la défense!

Après l’Aide juridique, voulant tenter sa chance en pratique privée, Me Hébert s’est joint au bureau de Serge Ménard, période dont il ne garde que de bons souvenirs, qualifiant leur séparation de «divorce de velours», due aux orientations différentes de leur carrière respective. Emmenant dans son sillage une jeune stagiaire, la brillante, sémillante et charmante Sophie Bourque5, il s’est installé au 500 Place d’Armes, où il pratique toujours. D’autres jeunes ont grossi les rangs de l’étude qui porte désormais le nom Hébert, Bourque, Downs. «Ma deuxième famille», selon les mots de Me Hébert, qui apprécie les discussions stimulantes avec d’autres praticiens du droit criminel, dont il respecte les méthodes de travail: «Bien que je sois l’aîné, je ne regarde pas «par-dessus l’épaule», ils connaissent leurs dossiers, nous échangeons beaucoup, c’est une atmosphère très conviviale, amicale même.»

La clientèle de Jean-Claude Hébert se compose de personnes souvent issues de la scène sociale, ce qui ajoute une dimension délicate au travail de l’avocat, tenu à la réserve malgré le battage médiatique qui accompagne, surtout pour le pire, leurs démêlés avec la justice. Pensons aux affaires assez récentes6 de l’ex-juge Richard Therrien et de la syndicaliste Lorraine Pagé.

Les yeux noirs de Me Hébert se métallisent lorsqu’il aborde la question du traitement absolument injuste réservé à cette dernière par les médias: «Elle a été condamnée à l’avance. On lui reprochait de plaider non-coupable, sans attendre de connaître ses moyens de défense. Or, elle a été acquittée deux fois. D’abord, par la Cour supérieure, qui a relevé les erreurs du juge de première instance, puis par la Cour d’appel. Malgré cela, les journaux ont maintenu et entretenu le scepticisme, faisant ainsi peu de cas des jugements pourtant très étoffés des deux Cours. Le tort fait à la réputation de Madame Pagé vient aussi de l’omission de rapporter ces deux décisions, ou encore, d’en faire état dans un coin obscur de la publication, alors que son accusation avait fait la manchette! Le pire, c’est que ces gens-là ne s’excusent jamais. Comme ils savent que la personne ne veut plus faire parler d’elle, c’est facile de salir sa réputation sans encourir d’imputabilité, et le mal est fait.»

Quant au dossier de Richard Therrien, c’est presque de la tristesse qui nuance son regard, on sent là une blessure encore fraîche: «J’étais seul dans un coin avec mon client pendant ce marathon de cinq ans, avec le sentiment de la réprobation de tout le milieu judiciaire. Le législateur devra modifier sa loi. Ce jugement (de la Cour suprême) n’a pas donné de substance au pardon [Loi sur le]. On sait maintenant que la transparence a des effets pervers. J’ai vécu péniblement l’issue de ce dossier, car je croyais vraiment que ça se passerait autrement.»

Vite, on parle d’autre chose. Une étrange affaire lui a laissé un souvenir un peu terrifiant, ou à tout le moins un malaise. Luc Jouret, gourou de l’Ordre du Temple solaire, l’a fait venir en Suisse, pour une consultation très confidentielle. Pendant six heures, dans une chambre d’hôtel aux rideaux soigneusement fermés, en plein jour, ce personnage, qui n’annonçait évidemment pas ses funestes projets, lui raconte sa rocambolesque histoire. Jean-Claude Hébert en est sorti interloqué, sans connaître son mandat. Il n’a retiré aucune notoriété enviable de cet épisode car astreint au secret, il a refusé de parler aux médias, même pour des sommes considérables.

Sur un mode plus léger, on se souviendra de la fameuse contestation du règlement municipal de la ville d’Outremont7, qui interdisait le port du maillot de bain dans les parcs. La liberté d’expression était le principe à défendre, l’une des premières à défier une action législative depuis l’entrée en vigueur de la Charte.

Cet échantillonnage bien modeste de ses réalisations illustre tout de même la force des convictions de Me Hébert. Il se définit comme un libre penseur, ce dont il est fier, et ne craint pas de déplaire, sans souci de se ménager une clientèle future. Il prend garde cependant à ne pas confondre son opinion personnelle et la cause de son client. Il croit à l’importance de la règle de droit, mais il est devenu, au fil des ans, plutôt songeur devant certaines idées reçues: «La tyrannie de l’apparence fausse une perception réaliste de l’administration de la justice. On a de cesse de répéter l’importance de l’apparence de justice. Il faudra bien un jour inverser la tendance et insister pour que la confiance du public soit méritée en fonction du contenu de la Justice plutôt que de son apparence. Un fond solide et constant va nécessairement se répercuter sur la forme, celle-ci étant le reflet de l’autre.»

Si vous croyez que Me Hébert ne pense qu’au droit, vous êtes dans les convolvulacées8. Ce monsieur-là est un sportif enthousiaste, lit à peu près tout, de l’édition hebdomadaire du Monde, le Nouvel Observateur, Newsweek et al. à des ouvrages philosophiques, il a tout lu Margaret Atwood9 et en ce moment, revisite les classiques. Peu mondain10, il passe ses soirées à la maison, en famille, voit ses amis, peu nombreux mais précieux.

Ses préoccupations sociales l’amènent à déplorer le tabagisme chez les jeunes et la banalisation de la consommation d’alcool, véritable fléau auquel il faut rattacher les accidents de la route. Son esprit caustique est recherché par les animateurs d’émission d’affaires publiques et l’on salue ses analyses concises et complètes des sujets de l’heure.

Pour qui l’a rencontré, son côté hypnotisant est d’autant plus remarquable qu’il s’accompagne d’un humour bien réel, mais exercé sans malice. C’est l’apanage des gens discrets et lucides, et de quelques avocats d’exception.

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1 Me Chantal Sauriol est membre du comité des communications du Barreau de Montréal.

2 Ou impolie, c’est selon: pendant 3 bonnes heures, je lui ai cassé les pieds pour qu’il me parle un peu de lui: peine perdue. Nous avons cependant beaucoup échangé sur le monde qui nous entoure. Sans avoir bu une goutte d’alcool, disons que nos conclusions sont amères.

3 Un simple changement de boulon, c’est-à-dire un pontage, et il est comme un neuf, tel un moteur ré usiné. Il faut dire que dans son cas, c’était une chirurgie préventive.

4 Enquête du coroner sur la mort du caporal Marcel Lemay (crise d’Oka) et enquête sur la Sûreté du Québec (Commission Poitras).

5 Bon Sophie, j’en ai assez fait. Tu me payes à l’acte, pas au mot!

6 Plus loin dans le temps, les affaires Parent et Gossett, cette dernière où il a pris la suite de Serge Ménard. Deux affaires éminemment antipathiques dans l’opinion publique, qu’il a gagnées.

7 Vers le milieu des années ’80.

8 Patates.

9 Alexandre Barrico, Sergio Kokis, j’arrête là, vous allez être jaloux.

10 Il est cependant membre de l’Association des avocats de la défense.